Rencontre à Paris du dernier artisan canneur-pailleur de la capitale. Pour habiller les chaises, Pierre utilise du seigle ou du rotin. Si l’un a besoin de chaleur, l’autre préfère l’humidité. Deux styles, deux techniques mais un seul but : perpétuer un savoir-faire en voie de disparition. Sujet réalisé pour l’émission “Météo à la Carte” sur France 3.
Paris 6e arrondissement, c’est dans cette belle rue ensoleillée du cherche midi que se cache le dernier canneur pailleur de la capitale…Pierre n’a pourtant que 34 ans mais il vient de récupérer l’atelier de son prédécesseur qui l’avait formé 10 ans plus tôt… Cette reprise, il en est fier car il la voit comme le seul moyen de sauvegarder cette tradition artisanale vieille de plus de 2 siècles…
“C’est le savoir faire français qui est en train de disparaître et on en train de sauver un peu notre patrimoine vivant on va dire.. y a de moins en moins de jeune qui veulent faire ce métier là. J’ai fait un stage chez mon prédécesseur y a 10 ans et après j’ai touché la tapisserie l’ébénisterie pour reconnaitre les bois, comment le travailler…”
Quelle est la différence entre le cannage et le paillage ? Déjà le visuel, une chaise paillée est pleine alors que la chaise cannée est plein de trous. On dit qu’elle est ajourée…
“Tu sais que c’est grâce à la régence à la mort de louis XIV qu’on a eu la chaise cannée ? Parce qu’avec la régence qui était frivole ils voulaient des chaises ajourées très légères à transporter de château en château de pièce en pièce.”
La chaise cannée est très élégante mais aussi très fragile. Évitez de vous en servir comme escabeau, vous risqueriez de passer à travers au contraire de la chaise paillée beaucoup plus solide mais bien plus rustique.
“La chaise paillée, c’est plus “église province” parce que le paillage est venu de Provence, en réalité il est venu d’Italie au XVe, XVIe siècle.”
La paille provient des champs de seigle contrairement à la canne de rotin qui provient des pays tropicaux où l’humidité est forte comme en Indonésie.
“La canne de rotin est tirée de la liane. La liane pousse à partir du sol, va trouver un arbre de tuteur, elle va monter à la recherche du soleil. Arrivée au soleil elle va se stabiliser sur une branche. Et après comme elle va continuer à pousser avec son poids elle va tomber.”
Le problème c’est qu’avec la déforestation, la canne de rotin n’a plus d’arbre pour se développer…
“La liane de rotin devient de plus en plus rare. Avant on la coupait en partie descendante donc elle avait toute sa maturité elle avait toute sa force. Maintenant on la coupe des qu’elle a 3mètres 4 mètres au sol donc c’est plus du bois… elle est plus dure avant une canne de rotin était très souple.”
Un métier ancestral qui se perd, une matière première qui se raréfie, cela n’a pas l’air de décourager Pierre tout content de reprendre l’atelier de Frédéric et avide d’écouter les conseils qu’il peut lui prodiguer…
Frédéric : “Il est motivé… C’est souvent que je passe et puis là il m’a demandé de lui montrer un peu le début de ce siège car c’est un tissage particulier… mais là je n’ai plus rien à lui montrer là… ah si encore un peu !”
En effet il y a plusieurs manières de tisser un siège soit de façon pleine en chevauchant les brins horizontaux et verticaux comme pour le tissage textile.
Soit comme Pierre qui va faire un cannage à la française en ajourant avec ces trous hexagonaux. Les premiers canneurs sous Louis XV avaient choisis cette forme en l’honneur du savoir faire français.
Quand aux diagonales qui renforcent le dossier on les appelle la garniture. Les brins utilisés doivent être plus larges que les précédents, car ils ne sont pas doublés.
(…) “il faut arroser”
Et pour pouvoir manipuler cette liane exotique il faut la mouiller, la tremper… sinon elle est susceptible de se casser en se tendant…
“On travaille la canne mouillée c’est ce qui la rend souple pour ne pas qu’elle casse donc on la mouille bien.”
Le rotin adore l’humidité et déteste la sècheresse. Donc conseil pour garder vos sièges en rotin le plus longtemps possible, ne chauffez pas trop vos pièces !
“On ne supporte plus d’avoir un chandail dans un appartement. On est passé de 18 à 20 degrés dans un appartement à une température de 21 à 25 degrés et du coup la canne de rotin sèche énormément et donc dure moins longtemps. Pour le patrimoine, pour les meubles anciens, vous avez des sièges qui se décollent et même des meubles qui se fendent. On voit des catastrophes…”
Après avoir posé ses diagonales, vient le moment délicat du chevillage. À la différence de l’assise où les cannes sont attachées à l’arrière de la chaise, pour le dossier les cannes sont simplement chevillées.
“On constate qu’on n’a pas de trous derrière et que c’est chevillé …”
Cette technique permet au canneur de gérer la tension de ses cannes. Plus il appuie sur ses chevilles plus la canne se tend et inversement…
Alors l’intérêt des chevilles c’est que si on ne met pas de cheville elle est souple. Une fois qu’on met les chevilles c’est comme une tension ça maintient la tension déjà positionnée. Comme ça on attend 5/6 minutes et après ça garde sa tension sans se déformer !
Une fois sèche la canne se fige. Ne reste plus qu’à Pierre à combler ces trous avec des morceaux d’allumettes.
Il est temps pour Frédéric de laisser son poulain canner de ses propres lianes. Fraichement retraité, il a encore du mal à céder la place…
“Pierre est un digne successeur il faut lui faire confiance. Mais c’est vrai que c’est dur de quitter.”
L’adresse : L’atelier Pierre Doré
108 bis Rue du Cherche-Midi, 75006 Paris